[by Marguerite]
Ce livre traite de l’impact de l’élevage sur la crise environnementale. On s’en doutait un peu, mais Jonathan Safran Foer ne l’admet qu’à la page 76. Autant dire que le début de l’ouvrage peut sembler un peu louvoyant. La valse hésitante entre chiffres factuels, et petites anecdotes, laisse perplexe. C’est que l’auteur veut nous mobiliser sans nous effrayer, nous instruire sans nous démotiver.
Et les chiffres, quoique alarmants, quoique scientifiquement étayés, ne suffisent ni à faire ouvrir les yeux de quiconque, ni à induire un changement dans nos actions, Jonathan Safran Foer en est convaincu. Il étaye donc le propos d’histoires vécues, qui témoignent des faiblesses mais aussi des forces insoupçonnées de notre espèce.
L’écriture, cordiale, veut tout mettre sur la table, y compris les contradictions de l’auteur et son impuissance un peu honteuse quand il ne réussit pas toujours à agir en accord avec ses convictions. A travers la sienne, c’est notre dépendance à des habitudes qui nous aliènent et nous détruisent que Jonathan Safran Foer raconte.
Incapacité de penser une catastrophe annoncée, immobilisme, apathie, inertie, malgré nos envies de défense et de préservation de notre environnement, d’altruisme et de bienveillance… l’humanité n’est pas présentée sous son meilleur jour. Les conditions du changement, de l’avis de l’auteur, sont émotionnelles plus que rationnelles, et cela risque de nous coûter cher, car nous ne réagirons que lorsqu’il sera déjà trop tard.
Pourtant, nous sommes nombreux à végétaliser nos assiettes, un peu, beaucoup, à la folie, passionnément. Pour le climat, mais aussi pour les animaux, humains et non humains.
"Le Bangladesh a l’une des empreintes carbone les moins importantes au monde, ce qui signifie qu'il est le moins coupable de la plupart des catastrophes qui l'affectent. Le Bangladais est en moyenne responsable d’émissions correspondant à 0,29 millions de tonnes d'équivalent carbone par an, alors que le Finlandais est responsable de 38 fois plus […]. Il se trouve que le Bangladesh est aussi l'un des pays les plus végétariens au monde : il s'y consomme en moyenne 4 kg de viande par an et par habitant. En 2018, le Finlandais moyen consommait allègrement cette même quantité sur une période de 18 jours - sans compter les produits de la mer. Des millions de Bangladais font donc les frais d'un mode de vie opulent qu’ils n'ont jamais connu. Imagine que tu n'aies jamais touché à une cigarette de ta vie mais qu’on te force à payer les frais de santé d'un gros fumeur de l'autre côté de la planète. Imagine que ce fumeur reste en bonne santé et au sommet du classement des records de bonheur [la Finlande est l'un des pays où les habitants se considèrent comme les plus heureux au monde] -consommant chaque année toujours plus de cigarettes pour satisfaire son addiction- tandis que tu te retrouverais avec un cancer du poumon."
Quand Jonathan Safran Foer peine à oublier le goût du steak, et sue sang et eau pour ne pas avoir de sang sur les mains, d’autres révolutionnent leurs habitudes ou transitionnent en douceur, sans avoir l’impression de devoir fournir des efforts surhumains, parole ! D’ailleurs, c’est souvent en pensant à autrui que l’on se dépasse, et que l’on dépasse cette ancienne dichotomie entre raison et émotion. De plus, l’accès à un mode de vie moins consumériste, plus slow, plus green, et sans cruauté, apporte aussi sa part de félicités, mais sera-ce assez pour nous sauver de nous-mêmes ?
S’il est déjà tard, il n’est pas trop tard. Et Jonathan Safran Foer fait largement sa part, en militant à travers ses ouvrages, depuis des années, pour une écologie plus radicale, contre les élevages et leurs effets délétères sur notre planète.
Un livre pragmatique, incitatif, facile à lire. Malgré quelques couacs de traduction, malgré les pages sombres, un livre qui espère encore, et qui croit encore en la force d’impulsion de certaines de nos actions.
Jonathan Safran Foer, L'Avenir de la planète commence dans notre assiette [« We Are the Weather: Saving the Planet Begins at Breakfast »], L'Olivier, 2011.
Kommentarer